PETITE HISTOIRE (DE FRANCE) DE L'ÉTIQUETTE
La première fois que j’ai expliqué à un petit événement entre femmes actives francophones et expatriées que je me lançais dans l’étiquette et le protocole, la réponse a été : « Ah des étiquettes pour des paquets, c’est très bien ! »
Cette anecdote est toujours présente à mon esprit : ‘étiquette’ et ‘protocole’ ne sont pas forcément des notions qui résonnent tout de suite en nous.
Think Manners vous livre sa brève histoire de l’étiquette à la cour de France.
Les principes de bienséance et de politesse qui font l’essentiel de ce qu’est l’étiquette aujourd’hui puisent leurs racines au cœur de l’histoire de France. Au gré des rois, révolutions, restaurations, empires et républiques la notion d’étiquette s’est adaptée sans cesse car c’est un concept qui évolue au rythme des changements profonds de la société.
Les origines de l’étiquette à l’aube de la Renaissance
Le terme de courtisan apparaît dès le règne de Louis XI (1423-1483). C’est le début de ce que l’on nomme la vie de Cour où des courtisans accompagnent dans ses moindres faits et gestes le roi de France, pour le soutenir bien sûr, mais aussi pour en tirer certaines faveurs.
Tout naturellement, l’afflux de nombreuses personnes à la cour conduit à instaurer un rituel de cour. En codifiant les faits et gestes de chacun, le pouvoir royal tente de préserver la bonne organisation et le bon fonctionnement de tout ce qui a trait à la maison royale.
Ce n’est qu’à la fin du XVIème siècle, sous le règne d’Henri III, que les premiers règlements généraux et ordonnances royales font leur apparition.
Il ne reste plus qu’à trouver une dénomination pour se référer à tous ces principes : le terme d’étiquette est né ! Ce nouveau mot ne sera pourtant ajouté au dictionnaire de l’Académie française qu’en 1718.
Sur les conseils de Catherine de Medicis, son fils Henri III utilise l’étiquette comme un outil puissant de structuration de sa cour et par extension un instrument politique.
L’étiquette dicte à chacun sa place et lui demande de s’y tenir : quoi de plus pratique pour contenir toute velléité de contestation voire de rébellion ?
En quoi ces règlements consistent-t-ils ?
Il s’agit entre autres de détailler l’emploi du temps quotidien du souverain et cela avec grande précision. Il devient ainsi plus difficilement accessible. On ne peut le voir ou l’approcher qu’à certaines occasions et sous certaines conditions. Cela permet de sacraliser le statut du souverain et de le placer à distance de tous les courtisans qui envahissent peu à peu les palais où se trouve le roi.
On ira même jusqu’à installer des barrières autour de sa table lors des repas. Les courtisans crieront au scandale, mais le message est clair : le souverain a une place à part et on se doit de la respecter.
Un premier ‘règlement général’ officiel en 1585
Ce premier manuscrit, en grande partie l’oeuvre d’Henri III lui-même, fut imprimé et distribué aux courtisans pour s’assurer que tous en prendraient connaissance et s’y conformeraient.
Il fait état des cinq pièces que constituent l’appartement du roi. Cela permet de dessiner une échelle des privilèges. Selon qu’ils ont accès à certaines de ces pièces ou non, les courtisans apprennent quels sont leur place et leur degré d’influence auprès du roi.
Une des occupations principales pour les courtisans consistera désormais à tenter d’aller le plus loin dans ce parcours afin de se rapprocher le plus possible du souverain pour le conseiller, l’influencer, obtenir ses bonnes grâces …
Pour coordonner ce savant ballet, une charge de grand maître des cérémonies est créée afin d’orchestrer les événements publiques et les allers et venues de chacun.
L’apogée sous le règne du Roi Soleil
Le roi, pivot central de l’étiquette
C’est bien sûr Louis XIV qui portera l’étiquette de cour à son plus haut niveau d’exigence après les règnes d’Henri IV et Louis XIII, beaucoup plus souples sur le sujet.
Une mécanique de très haute précision, implacable, se met en place et il devient quasiment impossible d’y échapper.
Le degré de précision ira jusqu’à placer de petits cartons, des étiquettes, aux abords des pelouses de Versailles. Ces étiquettes avertissaient les courtisans de ne pas franchir cette limite et de ne pas marcher sur l’herbe afin de préserver l’œuvre à peine achevée du jardiner Le Nôtre.
Comme quoi, l’étiquette, c’est parfois juste une vraie étiquette !
Mais celle-ci véhicule un message fort, valable au sens propre comme au sens figuré : voici la limite à ne pas dépasser ! Ni plus ni moins que ce qu’est l’étiquette, un simple code de vivre-ensemble.
Les mémoires de Nicolas de Sainctot
Nicolas de Sainctot fut un des grands maîtres de cérémonie du Roi Soleil puis introducteur des ambassadeurs.
Dans ses mémoires en quatre volumes qui couvrent la presque totalité du règne de louis XIV, il décrit avec une précision d’horloger tous types de cérémonies à la cour.
Allant du cérémonial de réception d’un nonce ordinaire, ou extraordinaire, du pape, jusqu’à la description de l’ordre d’avancée des carrosses en fonction des rangs protocolaires, ces recueils sont un témoignage vibrant d’un siècle où l’État doit en partie sa réputation de grandeur au carcan strict de l’étiquette.
Certaines anecdotes où des incidents se produisirent et manquèrent de se transformer en véritables crises en sont la preuve : sans étiquette, le roi a moins de pouvoir pour asseoir son autorité.
Quelle place pour l’étiquette dans nos sociétés modernes ?
L’étiquette de cour n’est plus, vive l’étiquette !
La fin de l’ancien régime a signé la fin de l’étiquette de cour au sens strict du terme. D’abord un déclin lent mais sûr au cours des règnes de Louis XV et Louis XVI, puis la table rase portée par la révolution.
Pourtant, l’avènement de l’Empire et la création d’une toute nouvelle noblesse, mettront à l’honneur une interprétation neuve de l’étiquette.
Sous des allures plus modernes, mais toujours avec le même objectif de réglementer la vie du palais et d’assigner à chacun des prérogatives en fonction de son rang. Une part de la légitimité du nouvel empereur passe par le rétablissement de tout ou partie des codes de l’ancien régime.
En rétablissant une cour avec son étiquette, des réceptions et des gratifications, Napoléon Ier réinstaure l’autorité de l’État.
Le nouvel ouvrage de référence daté d’avril 1805 s’intitule L’Étiquette du palais impérial. Sa nouveauté consiste à apporter une notion de ‘hiérarchie spatiale’ en distribuant les appartements et l’ameublement en fonction des rangs au sein de la famille impériale et de la cour.
De cette distribution découle les notions de préséance, de fréquentation et de cérémonial en rapport avec le rang et la fonction de chaque individu concerné.
Dis-moi où tu loges et quels sont tes meubles, je te dirai ton importance relative dans la société d’Empire !
De restaurations en républiques
La chute du premier empire ouvre la voie à une restauration monarchique qui se veut conservatrice. Pour cela, le retour à l’étiquette d’ancien régime semble une évidence pour Louis XVIII et Charles X. Les fonctions officielles et titres d’ancien régime sont rétablis.
La fameuse fonction de Grand Maître des cérémonies est ainsi recréée.
Las ! Le vent de la révolution n’avait-il pas soufflé assez fort pour que ces monarques fraîchement rétablis ne comprennent enfin qu’une réécriture complète des codes de bienséance serait absolument nécessaire ?
Sans cela, l’écart entre le pouvoir et les aspirations d’une société civile entrant de plein pied dans la modernité de pensée du XIXème siècle serait à nouveau source de discorde. Le faste de la cour et ses représentations réglées comme une horloge ne suffisent plus à légitimer une monarchie. La société évolue, le pouvoir et à travers lui l’étiquette, doivent s’adapter…
Victor Hugo nous livre un témoignage éloquent dans les Misérables :
"Charles X, pendant le voyage de Cherbourg, faisant couper une table ronde en table carrée, parut plus soucieux de l'étiquette en péril que de la monarchie croulante."
Louis Philippe, ‘roi des français’ qui se disait ‘roi bourgeois’ est lui méfiant vis-à-vis de la cour et de son rôle. Il compte plus sur des principes de simplicité et de proximité pour asseoir son pouvoir. Une sorte d’entre-deux résulte de cette situation. Une cour subsiste sans réel structure pour maintenir son organisation et son fonctionnement. Certaines charges disparaissent, d’autres subsistent, le dress code pour certains événements auxquels participe le roi peine à être respecté, … le manque de clarté rend l’ensemble du système royal moins fort.
En temoigne Anatole de Montesquiou, chevalier d’honneur de la reine des Français :
« En vérité notre espèce de cour va à la diable. »
Voulant être un roi ‘sans cérémonie’, il n’en reste cependant pas moins autoritaire à l’excès. Le manque d’étiquette ayant mis à mal la sacralisation de la fonction royale, Louis Philippe peine à maintenir les apparences. Entre autoritarisme et proximité, aucun message clair finalement à destination d’une société en plein changement.
Enfin, Napoléon III, prince-président puis empereur, sera la vraie transition entre les rites des anciens régimes et la République.
Le faste de la Maison du président de la République sera réduit aux seuls aspects fonctionnels. Une sorte d’adaptation républicaine de la splendeur impériale passée afin d’établir le prestige autour du Chef de l’état.
L’avènement d’un second empire renverra pour la dernière fois à certains fastes royaux et impériaux passés, mais la ligne est désormais tracée et la voie pour ce que nous connaissons de l’étiquette moderne est ainsi ouverte.
Il ne s’agira plus d’encadrer la vie des courtisans au sein d’une maison royale, impériale ou républicaine, mais d’offrir une base stable de relations sociales au sein de nos sociétés.
Pour conclure
L’étiquette a pris au fil de notre histoire toutes sortes de formes, tantôt carcan strict, tantôt coquille vide, elle fut même parfois presque oubliée. L’étiquette s’adapte ainsi aux époques mais reste une valeur sûre pour qui veut faire son chemin dans la vie.
Contre vents et marées, le concept perdure. Rares sont les codes qui ont su résister à tant de siècles chargés en secousses notamment politiques.
Le secret de cette résilience ?
Tel le roseau, l’étiquette plie … mais ne cède jamais !